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Rachid Dechemi Méliani
20 juillet 2015

Mea culpa

MRAAA

C'est au cours du mois de ramadhan (1982 ou 1983), c’était en plein été. Je suis sortie de la brasserie des facultés d’Alger, ou je venais de déjeuner. À cette époque-là c’était Gaspard qui tenait le comptoir.

Avec l'entrecôte grillée, frite maison et salade verte, j’avais pris un Rosé bien frais (Pelure d’oignon). Seul assis au comptoir, j’avais pris mon temps pour déjeuner, Gaspard, comme à ses habitudes, c’était charger de l’animation .

Vers quatorze heures, à chose près, je me suis retrouvé sur le trottoir à attendre un taxi. Le Rosé a eu de l’effet sur moi. Par cette journée chaude une seule envie me trotter, faire une bonne sieste.

De ce temps-là, j’habitais du côté du marché Nelson à l’entrée de Bâb-el-oued.

Des taxis y'on n’avait pas des masses, et l’attente pouvait durée, mais bon hors de question de prendre le bus avec mon haleine sentant le vin.

Au bout d’un moment d'attente, voilà qu'Abdelwahab Mokrani (le plasticien) qui se pointe, accompagné de ses tics et de ses tocs, pour ceux qui l’on connut savent de quoi je parle. Et pour ceux qui ne l’ont pas connu je vais tenter de d’écrire les tics et les tocs de Mokrani.

Mokrani bégayait quelque peu, et parlais nerveusement avec les mains, tandis que son corps dé-ondulé. Avec sa démarche titubante et sa parole hésitante on pouvait parfois confondre son attitude avec celle de l’ivresse. D’ailleurs si mes souvenirs sont bon, Djamel Amrani avait lui aussi cette même manie, au point où je ne suis jamais parvenu à savoir, lorsqu'il m’abordait, s’il était sobre ou soûl.

Mokrani content de me rencontrer vint vers moi et me salua. Et d’emblée il s’était mis à me faire part de choses et d’autres que j’avais du mal à retenir à cause de l’effet qu’avait eu la pelure d'oignon sur moi. Ses mains qui gesticulaient devant moi et son corps qui sans cesse s’agiter, un coup sur le trottoir et un autre sur la chaussée et vis versa, me donnaient le tournis.

Sous un soleil de plomb, torché au Rosé, et comme interlocuteur Mokrani, j’avais de la peine à suivre sa conversation, en plus ce bougre parlait en onomatopées.

Bref je ne sais pas qu’elle image nous donnions de nous aux passants, mais tout prêter surement à confusion. Une dame en Haïk qui passait par là, à notre niveau elle avait lancé sans s'arreter, quelque chose comme « beurk ça sent le vin par ici ! »

Moi j’étais sur le point de m’écrouler a cause de la chaleur et Mokrani s’agiter encore quand un véhicule de la police s’arrêta juste à notre niveau, c’était une fourgonnette Volkswagen avec une grande porte latérale sur la droite. Assis à côté du chauffeur un brigadier, un familier des bars d’Alger, il avait la corpulence du Sergent Garcia dans la série Zorro. Il nous lança des salutations à sa façon « salut la famille, y a des problèmes ? », moi qui tenez à peine debout, j’ai gardé ma bouche cousue, Mokrani lui, qui s’était peut être même pas rendu compte de l’arrivée de la police tellement il était dans son monde, continuer à causer. Le brigadier son carême agissant s’est senti désabuser par notre attitude, il hurla « alors la famille on ne calcule pas la police ! »…

Moi je ne dis pas mots. Mais l’odeur du Rosé parvint aux narines du Sergent Garcia qui hurlât à son subordonné installait à l’arrière, « mais il est soûl en plein ramadhan, embarque le ! »… La porte latérale s’ouvrit avec fracas, sans prendre la peine de descendre le jeune policier saisi le col de la veste de Mokrani et le ramena à l’intérieur du Pania salade. Faut aussi reconnaitre que Mokrani tout mouiller ne devait pas peser plus lours qu’une bouteille de gaz butane, enfin bref… Je vois encore les yeux écarquiller de Mokrani qui ne comprenaient pas ce qui lui arrivée… La porte latérale se referma aussitôt et la fourgonnette de police s’on alla.

Juste après ça, j’ai eu mon Taxi, qui me déposa devant la maison, j’ai dû faire une longue sieste après toute cette agitation. Au réveil, j’avais pris conscience de ma triste lâcheté, mais bon, n'est pas héroïque qui veut !

Pour les soirées du ramadhan, je passais souvent au siège de la fédération du ciné-club (avenue pasteur) pour les projections de films classiques en 16 mm et dans la soirée de mon déjeuner à la pelure d’oignon, je croise Mokrani lors d’une projection. Là je dois reconnaitre que j’ai eu un peu peur qu’il me casse la gueule… Il vint vers moi avec ses tics et ses tocs, et me raconta sa mésaventure.

Je pense qu’il ne se souvenait même plus que ce fût moi qui étais avec lui l'après midi. Il me fit le récit de sa mésaventure « Ces enfoiré de flics m’on embarquait cette après-midi … ché pas pourquoi mais ils étaient convaincus que j’étais soûl… au commissariat ils se sont mis à dix, à tour de rôle, à renifler ma bouche pour voir si j’avais bu de l’alcool ou pas… et ce putain de sergent Garcia lui il a presque pénétrait au fond de ma gorge… Du coup ils m’ont relâché que maintenant… Et en plus le sergent Garcia, a l’heure du ftour m’a obligé à manger la chorba avec lui, putain je n’aime pas la chorba… »…

Vingt ans après, je pensais avoir trouvé une occasion de me racheter et lui dire la vérité, que c’est à cause de moi qu’il s’était fait embarquer, que c'est moi qui sentais le vin de jour-là. En 2002 ou 2003 donc, nous prenions ensemble l’avion par hasard d’Alger sur Paris, moi je rentré chez moi et lui partait pour un circuit gastronomique organiser par les services culturels français dont il était l’invité.

Après avoir arrosé comme il convient nos retrouvailles au bar de l’aéroport d’Alger, nous voilà à bord de l’avion d’Air Algérie, nous reprîmes du vin, et au moment où j’allais faire mon mea culpa, Mokrani s’était mis à réciter à tue-tête les fleurs du mal de Baudelaire, et moi je me suis écroulé dans un sommeil profond. À Orly il était attendu par les services culturels et moi j’ai pris un taxi.

Jamais je n’ai réussi à lui dire la vérité, Il est décédé à 58 ans, le 3 décembre 2014 à Alger.

Enfin je fais mon mea culpa, oui je suis un peu lâche parfois.

Maintenant que c’est fait, je peux désormais déjeuner en paix pendant le mois du ramadhan, sans penser à lui.

Rachid Dechemi

°0°0°0°0°O°0°0°0°0°

ET à lire aussi l'excellent papier de Mustapha Maaoui, parrut dans le Quotidien El-Watan du 20 Décembre 2014 

Sa disparition tragique a semé la consternation. Son ami et médecin lui dédie ce texte. Le peintre Denis Martinez lui consacre un dessin. Et Sid Ahmed Semiane nous a confié ces photos. Que dire d’autre ?

Il était un poète et une poésie

MUSTAPHA MAAOUI

20 DÉCEMBRE 2014 À 10 H 00 MIN

Une œuvre ne s’achève pas, elle s’abandonne», répétait à qui voulait bien l’entendre Wahab Mokrani. Fidèle à cet aphorisme, notre ami a décidé de choisir le jour et la façon de tirer sa révérence. Ecorché vif, peintre maudit, dépressif génial, les qualificatifs ne manquent pour qualifier ce personnage fascinant dont la fragilité était à la mesure d’un talent tout simplement immense. Brillant élève de l’Ecole des beaux-arts d’Alger, il aura longtemps été tétanisé par le grand Issiakhem, son père spirituel qu’il admirait et vénérait par-dessus tout.

Wahab n’a jamais pu arriver à l’assassinat symbolique de ce père trop brillant et il ne prit confiance en lui-même qu’à la disparition, le 1er décembre 1985, du complice éternel de Kateb Yacine dont il aimait citer le poème qui figure sur la toile «Les Aveugles» : «… Nous qui vivons au passé/ Nous la plus forte des solitude/ Notre nombre s’accroît sans cesse/ Et nous attendons du renfort…»

Wahab fréquentait assidument la Brasserie des Facultés où il avait toujours une cigarette à chaque main et s’apprêtait éventuellement à en allumer une troisième, plongé qu’il était dans la sélection des pigments qu’il devait utiliser sur sa gouache. Oui, Wahab peignait au milieu d’une foule d’étudiants mobiles et bruyants qu’il semblait ne pas voir et qui ne le gênait absolument pas.

Une fois, à ma vue, il arrêta son travail pour extirper de la poche de son maxi-manteau un livre de Henri Michaux pour m’en proposer une lecture sur place. J’avais pensé qu’il voulait me lire un paragraphe sur Monsieur Plume, mais très vite je m’aperçus qu’il voulait me lire tout le livre, du début à la fin ! Il était également passionné de cinéma et j’ai le souvenir, toujours à la «Brass’», de l’avoir présenté à Abdou B. qui en connaissait pourtant un bout sur la question et qu’il avait épaté en faisant notamment un commentaire à sa manière sur «L’île nue» de Kaneto Shindo.

Avec quelques passionnés de cinéma, et les jours «sans public», à cause de la concurrence déloyale d’un match de football par exemple, il lui était arrivé de proposer des places à des passants de la place Emir Abdelkader pour atteindre le quota requis pour passer un film en salle.  Il fréquentait alors assidument le domicile du docteur Bouchek (psychiatre) et sa mère était plutôt rassurée de le savoir sous «protection médicale». Bouchek pour l’âme, et moi-même pour le corps ! Un jour, et à sa demande insistante, je suis allé avec lui au domicile familial près de la gare de l’Agha et j’ai poussé le bouchon, si j’ose dire, jusqu’à entonner pour sa mère, ravie, le chant des supporters de la JSD, «Ach igoul ezzerzour, JSD la meillour».

Wahab en avait été très touché et me le rappelait souvent ! Wahab venait également régulièrement à Aïn Taya, chez moi ou chez Oussama Abdedaïm où il croisait également le sculpteur Mohamed Demagh. Il y venait toujours en trimbalant sa production récente qu’il exhibait devant qui voulait la voir, sans exclusive. C’est ainsi que Mehdi, chauffeur de taxi clandestin, ou Deloula, auxiliaire de santé au dispensaire de la localité, faisaient partie de ses admirateurs et éprouvaient une réelle émotion devant ses gouaches.

Il ne manquait jamais l’occasion de leur expliquer l’art du papier marouflé ou les principes élémentaires de la perspective. Dans les années quatre-vingts, il avait été de ceux qui avaient été désignés pour créer des œuvres pour le futur Musée central de l’Armée. On lui avait passé commande «d’un cavalier numide».

Ce devait être une toile de trois mètres sur trois, en couleur et triomphale, et il ne put se résoudre à produire qu’une poignante scène de torture en gris de dimensions très modestes.  Intellectuel  accompli, il ne s’affichait jamais comme tel, et il «pratiquait» la poésie au quotidien, de manière quasi spontanée, citant, selon les circonstances du moment, René Char ou Hamid Tibouchi en vous fixant de ses grands yeux noirs, débordants d’intelligence et de sensibilité dans une tête à la Buster Keaton, espiègle et primesautier, attendant votre acquiescement.

Plus tard, à la fin des années quatre-vingt-dix, sa rencontre avec Mustapha Lamri, cinéaste qui l’a précédé dans la dépression et dans ce type de choix funeste a eu lieu dans le 14e arrondissement de Paris, au «Gévaudan», rue de la Tombe Issoire, dénomination de sinistre présage où chacun était dans l’enthousiasme et la joie d’avoir rencontré un vrai peintre pour l’un, un authentique metteur en scène pour l’autre. Détail terrible, Mustapha Lamri, victime de la censure qui plombait le cinéma algérien des années soixante-dix, avait sur lui une coupure de journal qu’il exhibait régulièrement et qui rapportait «l’immolation par le feu d’un poète algérien à la Butte-aux-Cailles».

Il finira lui-même sous une rame de métro à la station Glacière. Puis il y eut pour Wahab la disparition de la maman, des difficultés familiales, la crainte pour la santé d’un de ses frères et l’absence de perspectives sérieuses qui ont prévalu ces dernières années, jusqu’à la terrible nouvelle de ce vendredi 5 décembre 2014.Terrible constat qui consiste à constater que la haine et la bêtise n’ont plus à faire l’effort d’éliminer ceux qui leur font de l’ombre. La malvie s’en charge. Adieu Wahab, ceux qui ont eu le bonheur de te côtoyer, et j’en fais partie, ne t’oublieront jamais ! 

Le déclin d'un long mensonge!

 

 

 

 

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